«Je ne vis plus, je survis» : le combat de Fabien Lherbier, lynché et brûlé

“Durant 10 jours devant la cour d’assises du Nord, le cabinet assiste Fabien, victime d’une tentative de meurtre effroyable et effrayante. A ses côtés depuis 6 ans, nous veillons à ce que cet homme, qui a tout perdu, puisse enfin obtenir justice.” Damien Legrand

A la barre de la cour d’assises du Nord, ils se succèdent pour témoigner, droits et dignes. Aucun n’a un regard vers le box, vers ces jeunes hommes accusés d’avoir causé le drame qui a balayé leur existence et dont deux nient la « tentative de meurtre aggravée » qui leur est reprochée. Pour Fabien Lherbier, 47 ans, son épouse Cathy, 48 ans, et leurs trois enfants Sofian, Meliana et Myleidi, 27, 25 et 18 ans, il y a la vie d’avant l’agression et puis celle d’après.

« Jeudi 28 mai 2015, le jour où tout a basculé, pour toi Fabien, pour qu’on n’oublie jamais », a écrit sa belle-sœur Aurore à la première page du premier des trois gros cahiers où elle a consigné, alors qu’il était plongé dans le coma, leur quotidien suspendu.

De sa vie d’avant, Fabien Lherbier, aidé par les questions de la présidente, parvient seulement à dire qu’elle était « très équilibrée » et sa « famille unie ». Roué de coups dans une petite cité de Libercourt (Pas-de-Calais) alors qu’il cherchait ses chiens, brûlé sur 20 % de son corps et laissé pour mort plus loin dans un champ, ce grutier en intérim sollicité sur tous les chantiers de la région se levait chaque matin à 4 heures pour aller courir avant d’aller travailler. Le lourd traumatisme crânien subi a tout effacé.

«Vous ne vous rappeliez même plus que vous étiez marié, c’est revenu ?»

« Vous ne vous rappeliez même plus que vous étiez marié, relève l’avocat général, c’est revenu ? » « Doucement », répond-il. « Vous vivez avec cette procédure depuis six ans », souligne l’un de ses avocats, Me Damien Legrand. « Je ne vis pas, je survis », corrige-t-il, confiant se sentir « apaisé » par le procès.

« On s’est rencontrés, on a fondé une famille très vite et nous avons élevé nos enfants dans le droit chemin », commence son épouse, Cathy Lherbier, à l’époque vendeuse en boulangerie. Dix-neuf ans de « beaucoup de bonheur » avant que tout ne vole en éclat. « Avec mon mari, on s’accordait sur tout, on s’aimait. Et puis un beau jour, il n’était plus là. Quand mes enfants m’ont dit : Mais maman, les médecins disent que Papa est entre la vie et la mort, je ne l’ai pas entendu. Pour moi, ce n’était pas ça. Il allait se réveiller et me dire : Comment ça va ? »

Cathy Lherbier arrête de travailler, lui rend visite chaque jour au CHU — où son époux survit par miracle à un champignon mortel qui s’est niché dans les plaies de ses brûlures. Elle sombre dans la dépression. « Ça fait trois mois. Cathy craque physiquement, elle est épuisée », consigne Aurore dans son cahier.

Après la sortie du coma de son époux, dix-sept autres mois de soins à l’hôpital suivent. Le retour à domicile marque le début d’un autre combat. Invalide, Fabien Lherbier souffre « d’atteintes massives de toutes ses capacités cognitives. » Il doit réapprendre à marcher, à parler, enchaîne séances de kiné, d’orthophonie… « On a vendu notre maison, racheté une autre, fait des aménagements. Encore aujourd’hui, je dois couper ses ongles, je l’aide à se raser… », décrit-elle.

«Ce n’était plus mon papa, ce ne sera plus mon papa»

Saisi d’accès de colère dus à son traumatisme crânien, Fabien Lherbier n’est plus le même. « Fabien râle, il crise, il a des mots violents… On m’a dit qu’il fallait que je fasse le deuil de mon mari », souffle sa femme, émue aux larmes devant la cour. « (A son réveil), ce n’était plus mon papa, ce ne sera plus mon papa », relate à son tour Myleidi, en pleurs. Sofian, l’aîné, souligne : « Si je sais me servir de mes mains, c’est à mon père que je le dois. Je lui dois mon éducation, mes valeurs, presque tout… Aujourd’hui le voir diminué ainsi, c’est très compliqué… »

Lui qui sera bientôt chef de chantier et dont le rêve était de « travailler avec (son) père », confie : « Maintenant, à chaque fois que je vois une grue, je pense à mon père et à ce qu’on aurait pu faire ensemble. Il était l’un des meilleurs. » « Cette famille a vécu une sorte de chaos, témoignera une neuropsychologue qui a suivi Fabien Lherbier durant deux ans à leur domicile. Avec beaucoup d’espoir et de force, ils se sont battus pour tenir debout. Ils ont dû se réinventer et sont toujours sur ce chemin-là. »

De son agression, Fabien Lherbier n’a aucun souvenir si ce n’est « une odeur de terre ». Il aimerait que le procès l’aide « à combler le trou » de sa mémoire. A l’égard des accusés, ni lui ni les siens n’éprouvent plus de colère. « J’aimerais qu’ils puissent reconnaître les faits, au moins avouer », avance seulement Cathy Lherbier, qui dit du seul des trois qui l’a fait : « Lui s’est comporté en tant qu’homme. Il assume. »

Sur l’un des cahiers écrits pour son beau-frère, Aurore a aussi noté ces mots-là : « On aurait pu arroser toute l’Afrique avec toutes les larmes qu’on a versées depuis le début. »

Ecrit par Pascale Égré

Publié le 05/03/21, voir l’article sur le site du Parisien.