“Fait rarissime en matière judiciaire : Le tribunal ordonne à deux reprises un supplément d’information à la demande de la défense . Lorsqu’il arrive à l’audience, le dossier pénal, construit par les enquêteurs sous la direction du parquet, est uniquement à charge. Le travail du cabinet, c’est d’abord rétablir l’équilibre. ” Damien Legrand
Alexandre est suspecté d’avoir abusé de Sophie au cours d’une soirée, fin 2020. La jeune femme affirme qu’elle pensait qu’il s’agissait d’un autre lors de l’acte.
LA SOIRÉE AVAIT TOUT pour être parfaite. Une dégustation de vin entre amoureux de grands crus qui avaient tous participé, deux ans plus tôt, à une formation en œnologie. Il y a d’abord Sophie*, l’hôte de ce 27 décembre 2020. Puis Thomas*, sommelier de 24 ans. Pendant quelques semaines, Sophie et Thomas sont sortis ensemble. S’il a mis fin à la relation, la jeune fille a toujours des sentiments pour lui. Autour de la table, il y a aussi Alexandre*, 20 ans et lui aussi sommelier. Il a eu une très courte histoire avec Sophie, qui l’a quitté car elle avait toujours des sentiments pour Thomas. Il y a enfin Mickael*, un autre camarade de
promo. Ce soir-là près d’Armentières (Nord), cinq bouteilles sont descendues avant que Thomas ne décide d’aller s’allonger dans le lit de Sophie. Quand la jeune femme le rejoint, les deux anciens amants flirtent gentiment, mais Thomas a trop bu et quitte la chambre. La soirée va alors prendre un tour plus trouble. « Je pensais que c’était Thomas qui revenait… » Dix jours plus tard, le 6 janvier 2021, Sophie raconte aux gendarmes qu’après le départ de Thomas, « un homme est entré dans ma chambre. Je ne l’ai pas vu car il faisait nuit et je dormais à moitié. Je pensais que c’était Thomas qui revenait. L’homme s’est allongé à côté de moi ». Suivent des baisers passionnés. « Bizarre », pense alors Sophie. Thomas sait en effet qu’elle n’apprécie pas cette pratique. L’homme lui embrasse le corps, puis la pénètre avec ses doigts et son sexe. Gênée par des douleurs, la jeune femme demande à son partenaire de s’arrêter. « Il a stoppé et m’a demandé où étaient les toilettes. J’ai alors compris qu’il ne s’agissait pas de Thomas. J’ai reconnu la voix d’Alexandre. »
Choquée, la jeune femme redescend et s’ouvre de la situation à Thomas et Mickael. Personne ne semble alors prendre vraiment la mesure de la situation. Au matin, avant que tout le monde ne rentre chez soi, Thomas et Sophie ont une relation consentie. Le 30 décembre, après plusieurs jours de « mal-être », Sophie s’émeut auprès d’Alexandre des événements survenus trois jours plus tôt : « Je suis désolée, je ne comprends toujours pas comment ça a pu arriver… Je ne dis pas que tu m’as forcée, mais qu’est-ce qu’il s’est passé pour que je ne m’aperçoive de rien… Et comment tu as pu oser entrer dans ma chambre sans que je t’y invite ? Il faisait noir, je ne te voyais même pas, comment j’aurai pu deviner, Alex ? Cinq minutes avant j’étais avec Thomas. » « Je te dois des excuses, répond Alexandre quelques minutes plus tard. Je suis sincèrement désolé, je ne sais pas ce qu’il m’a pris de venir te rejoindre. » Tourmentée et convaincue que Thomas a pu jouer un rôle dans les événements de la soirée — « J’ai l’impression qu’ i ls m’ont piégée »
Sophie dépose plainte le 6 janvier 2021. « Il (Alexandre) a seulement profité de la situation. […] Je ne savais pas que c’était Alexandre qui avait pris la place de Thomas, explique la jeune femme aux gendarmes. Il (Alexandre) savait que je ne voulais pas de relation intime avec lui. » Placé en garde à vue pour viol par surprise — les faits ont été requalifiés en agression sexuelle avec l’accord de la plaignante — le 15 juin 2021,
Alexandre confirme avoir rejoint la jeune femme dans sa chambre alors qu’il faisait noir. « Thomas est redescendu […] et il me toque dans l’esprit une idée d’essayer quelque chose avec Sophie, et je suis monté dans sa chambre sans toquer à la porte, et je suis entré sans dire un mot… » Le jeune homme admet avoir ensuite embrassé Sophie, mais assure qu’il n’y a pas eu de pénétration. Surtout, il se dit « persuadé qu’elle savait que c’était [lui] ». Une vidéo en cours d’authentification Plus d’un an après sa garde à vue, le procès d’Alexandre pour agression sexuelle a déjà été renvoyé deux fois. Le 10 octobre, après avoir fait réaliser un premier supplément d’information pour comparer le physique des deux garçons, la justice a diligenté une nouvelle expertise. Le but est d’aider la justice à trancher une question complexe : Sophie pouvait-elle
ignorer qu’el le était , au moment de la relation sexuelle, avec Alexandre et non pas avec Thomas ? Le nouveau supplément d’information vise à authentifier une vidéo de la soirée exhumée par Alexandre, qui
montre qu’il était porteur ce soir-là d’une « moustache fournie, que Sophie n’a pas pu ne pas sentir lorsqu’ils se sont embrassés » , assure Me Damien Legrand, l’avocat du jeune homme. « Je salue bien entendu les suppléments d’informations ordonnés par le tribunal parce qu’ ils démontrent plus encore l’innocence de mon client, mais si c’est pour au final condamner sur la base de la morale ça n’aura servi à rien. » Le procès du jeune homme doit se teni le 28 novembre. Contactée, Me Cazier, l’avocate de Sophie, n’a pas donné suite à nos sollicitations.
* Les prénoms ont été changés.
Ecrit par Vincent Gautronneau,
Publié le 12 novembre, voir l’article complet sur le site du Parisien.