Ce sont quelques lignes qui ne font que renforcer le sentiment de défiance de toute une famille. En six ans, la justice n’a jamais varié d’un iota : pour elle, Kamel Kerrar, retrouvé le 26 décembre 2014 dans la Scarpe à Douai (Nord), s’est bien suicidé. Le quadragénaire a pourtant été découvert « les mains attachées par une écharpe et les lacets de ses chaussures sont noués entre eux », détaille le premier rapport de police. Souffrant d’une sclérose en plaques, il aurait pourtant été incapable, selon ses proches, d’entrelacer les liens, retrouvés autour de ses poignets et de ses mollets. Une lettre anonyme envoyée quelques jours après son décès au parquet de Douai évoquait d’ailleurs la piste d’un meurtre.
Six ans après le décès, la famille continue de se battre pour connaître la vérité et découvre, mois après mois, des lacunes incroyables dans l’enquête menée par le commissariat de Douai. L’avocat de la famille, Me Damien Legrand, avait ainsi déposé en mars 2019 une plainte pour destruction de preuves auprès du parquet de Lille. Les vêtements que portait Kamel Kerrar le soir de sa disparition avaient ainsi été égarés par les policiers, rendant impossible toute analyse ADN malgré une enquête qui reste ouverte à Douai pour rechercher les causes de la mort.
Les policiers à l’abri des sanctions
Le 30 septembre, Eric Frouard, procureur adjoint au parquet de Lille, a informé la famille Kerrar du classement sans suite de cette plainte faute de « volonté spécifique d’entraver les investigations ». Pourtant, des négligences sérieuses semblent bien avoir été commises au cours de cette investigation. Ces derniers mois, trois policiers du commissariat de Douai ont ainsi été entendus par les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour refaire le film de cette découverte de cadavre. Ces auditions mettent en lumière de graves erreurs commises par les policiers.
« Les vêtements n’ont pas été placés sous scellés à leur arrivée dans les locaux du commissariat et leur entreposage et conditionnement n’apparaissaient pas suffisamment sécurisés », reconnaît le parquet de Lille dans cette missive envoyée à la famille et que nous avons pu consulter.
Plus grave encore, conclut le procureur, les policiers n’ont pas jugé bon de « statuer sur le sort de ces vêtements » une fois leur enquête terminée. Vêtements qui ont ensuite disparu dans des conditions que l’IGPN n’a pas pu déterminer. Le magistrat y voit ainsi « la conjonction de pratiques professionnelles discutables » qui ne devraient pourtant pas faire l’objet de poursuites ni de sanction. Le parquet de Lille estime ainsi que jamais les policiers n’ont eu pour « intention de faire obstacle à la manifestation de la vérité ».
La famille veut attaquer l’Etat pour faute lourde
« Ces conclusions confirment le ressenti de la famille depuis de longues années sur les lacunes de cette enquête, réagit Me Damien Legrand, leur avocat. Ces dysfonctionnements majeurs sont à l’origine de nombreux obstacles à la manifestation de la vérité et pourtant, selon la justice, personne n’est responsable… »
Aucune responsabilité n’avait non plus été dégagée à la suite de l’égarement, pendant près de cinq ans, de la fameuse lettre anonyme envoyée au procureur de Douai en janvier 2015 et finalement retrouvée en avril dernier… dans les archives du palais de justice. Agacée, déboutée de ses demandes à de nombreuses reprises, la famille Kerrar entend désormais demander des comptes à la justice et intenter une action contre l’Etat pour faute lourde.
Vincent Gautronneau
Publié le l’article sur le site du Parisien