Adolescente tuée par un automobiliste : trois ans après, l’enquête est rouverte

 

 

Le recours déposé par les parents de Sephora et leur avocat de l’époque, Me Philippe Courtois, a porté ses fruits. En juillet dernier, Mohamed Bouchahdane a contesté la décision du parquet de Douai de classer sans suite l’enquête ouverte contre l’automobiliste qui avait fauché sa fille de 16 ans sur le chemin du lycée, à l’arrêt de bus de l’avenue De-Gaulle, à Cuincy, le 20 février 2018. À la fin de l’année 2019, le procureur avait conclu que « le conducteur responsable de l’accident a bien commis une faute de conduite (défaut d’attention et défaut de maîtrise) » mais « souffrait d’une pathologie ayant conduit à son endormissement au volant ». Selon le parquet, « cette faute ne justifie pas (…) qu’il soit poursuivi en justice et condamné par un tribunal correctionnel ».

APNÉE DU SOMMEIL

Fin de l’histoire et de l’espoir pour la famille Bouchahdane ? Non. La cour d’appel de Douai, devant laquelle le recours a été déposé, a répondu favorablement à sa demande. Il y a quelques jours, le procureur général de la cour d’appel Frédéric Fèvre a demandé au procureur de la République de Douai d’ordonner un complément d’enquête pour deux raisons : déterminer si Jean S. l’automobiliste en cause, était apte médicalement à la conduite d’un véhicule et préciser les circonstances d’un accident dont il avait dit avoir été victime, deux semaines avant le drame de Cuincy. Dans les heures qui ont suivi l’accident de Séphora, Jean S. avait en effet déclaré s’être endormi au volant car il souffrait d’apnée du sommeil. Lors de sa garde à vue, il avait été vu par un psychiatre « mais il n’y a jamais eu d’expertise médicale », pointe Damien Legrand, l’avocat de la famille Bouchahdane.

« On ne sait donc toujours pas si, médicalement, l’automobiliste était en état de conduire. » Or, l’homme aujourd’hui âgé de 41 ans a toujours le permis. Au grand dam de la famille qui n’a qu’une idée en tête : qu’on lui retire le permis pour qu’un tel drame ne se reproduise plus. Ce n’est pas simple car, sans condamnation pénale, seul le préfet peut décider la suspension du permis de conduire si la commission médicale départementale ou le médecin agréé considèrent, après examen, que le titulaire n’est pas apte à conduire. Dans son combat, la famille Bouchahdane n’est pas seule : sa pétition, lancée il y a huit mois, a déjà recueilli plus de cinquante mille signatures.

Homicide involontaire ou pas ?

Au lendemain de l’accident, le parquet a ouvert une enquête pour homicide involontaire contre Jean S., l’automobiliste en cause. Un délit, prévu dans l’article 221-6 du Code pénal, mais particulièrement difficile à caractériser car « involontaire ». Un délit d’homicide involontaire n’est en effet caractérisé qu’en présence d’une faute établie. En matière d’accident de la circulation notamment, le seul fait de ne pas avoir prévu ou évité un accident ne constitue pas une faute pénale. Dans son classement sans suite à la fin 2019, le parquet de Douai a estimé qu’il y avait bel et bien une faute du conducteur mais qui ne justifiait pas son renvoi devant un tribunal correctionnel à cause de la pathologie.

ENCORE UN AUTRE RECOURS POSSIBLE

En ordonnant un complément d’enquête et donc en contredisant cette décision de classement sans suite, le parquet général ne dit pas qu’il y aura un procès. Il dit qu’il a besoin de plus de précisions pour décider et notamment établir si Jean S. n’aurait pas pris le volant alors que son état de santé n’était pas compatible. Quand ce complément d’enquête aura été réalisé, une nouvelle décision sera prise de poursuivre, ou pas, l’automobiliste devant le tribunal correctionnel. Si un nouveau classement sans suite intervient, la famille Bouchahdane aura encore un recours : celui de déposer plainte avec constitution de partie civile pour saisir un juge d’instruction chargé d’enquêter.

Ecrit par Julien Carpentier. Voir l’article sur le site de la Voix du Nord.