“Nous ne voulons pas croire que les autorités hongkongaises soient indifférentes à la douleur de la famille de Jean, surtout pour des considérations diplomatiques. Nous refusons de perdre espoir et leur adressons un message solennel. Le pas qui nous sépare de la justice, il n’y a qu’elles qui puissent le franchir.” Damien Legrand
Selon nos informations, le 15 février dernier, les policiers de la Brigade nationale de recherches des fugitifs (BNRF) ont découvert une photo inédite et récente du fugitif sur Loveawake.com, un site de rencontres prisé des habitants de Hongkong. Malgré les lunettes de vue et la casquette portées par « Shemen » sur cette plate-forme, tous les acteurs du dossier sont formels : il s’agit bien de Karim Ouali, aujourd’hui âgé de 45 ans. La dernière connexion à ce profil date du début du mois de février 2021. Sur le réseau social, l’homme assure vivre à Aberdeen, un port de Hongkong.
«S’ils le voulaient, en une semaine, il serait trouvé et arrêté»
Tout laisse donc penser que Karim Ouali est encore installé dans l’ex-colonie britannique, territoire autonome chinois où il aurait fui après le meurtre de Jean Meyer. Dans cette mégalopole ultra-surveillée et sécurisée, même s’il est ciblé par une notice rouge d’Interpol, il ne semble pas se cacher et bénéficie d’une troublante mansuétude.
Malgré la nouvelle découverte des policiers français, les autorités de Hongkong ont signalé le 14 mars dernier à l’officier de liaison en poste à l’ambassade de France ne pouvoir mener aucune investigation sur Karim Ouali, le site Loveawake.com n’étant pas hébergé à Hongkong…
L’assassin présumé de Jean Meyer peut dormir tranquille. « S’ils le voulaient, en une semaine, il serait trouvé et arrêté, déplore une source proche de l’enquête. Cela risque de se retourner contre eux, car il s’agit d’un homme très dangereux… »
Le crime d’un fou ?
Paranoïaque, fasciné par le Joker et par Oussama Ben Laden, Karim Ouali est en arrêt maladie quand il débarque ce 27 avril 2011 au sein de la tour de contrôle de l’aéroport Bâle – Mulhouse. Armé d’un couteau et d’une hachette de fabrication artisanale, il pénètre dans les lieux avec son badge nominatif. Quel est alors son véritable projet ? La piste d’un attentat visant les avions est crédible, confie une source judiciaire. Contrôleur aérien, Ouali avait les compétences pour provoquer un grave accident comme une collision entre deux appareils.
Son plan a-t-il été perturbé par l’arrivée de Jean Meyer, arrivé un peu en avance à son travail ce matin-là ? Impossible à dire. Mais quand le père de famille de 35 ans entre dans la tour à 7 heures, il est mortellement frappé à coups de hachette. Les deux hommes n’avaient jamais eu la moindre altercation avant ce funeste jour.
Crime d’un fou, imaginent d’abord les enquêteurs : Karim Ouali n’a aucun mobile et la perquisition à son domicile permet de brosser le profil d’un homme dérangé psychologiquement. Dans le capharnaüm de son appartement de Saint-Louis (Haut-Rhin), la PJ découvre un ouvrage baptisé « Avataroh », sorte de discussion hallucinée entre son personnage « Avatar » et le prophète Abraham à propos de la vie des contrôleurs aériens, de religion, de l’enfer, du diable… Son œuvre est ponctuée de références à Ben Laden et de diatribes antisémites.
Des ruses qui brouillent les pistes
Malgré cette folie apparente, Karim Ouali se révèle brillant et raisonné quand il s’agit de brouiller les pistes et d’échapper à la police. Avant le meurtre de Jean Meyer, le Joker a, par exemple, acheté un téléphone à son nom, qu’il a expédié en Suisse par colis en prenant soin d’activer les paramètres de localisation pour attirer les policiers… Autre ruse, toute aussi fine : peu avant les faits, Ouali a acheté en liquide et sous un faux nom une nouvelle voiture, qui lui permet de prendre la fuite sans que sa plaque d’immatriculation ne soit recherchée. Aisé financièrement, il a poussé le vice jusqu’à acheter à son nom un billet d’avion au départ de Francfort daté du jour du meurtre pour attirer les enquêteurs sur une fausse piste et gagner du temps dans sa cavale vers l’Asie.
De fait, selon des éléments obtenus ces derniers mois par la police française, Karim Ouali serait arrivé dès le 17 mai 2011 à Hongkong, via la Chine continentale. Doté d’un simple visa de touriste, il aurait alterné les séjours entre l’ancienne colonie britannique et la région autonome de Macao. Il voyageait avec son vrai passeport, qu’il avait légèrement trafiqué, ajoutant un trait au « O » de Ouali pour devenir Karim Quali. Un stratagème qui fonctionne jusqu’en 2014.
Le Joker est alors arrêté à Hongkong pour séjour illégal. Il est incarcéré un mois, puis maintenu sous contrôle judiciaire jusqu’en 2016. À cette époque, il dépose une demande d’asile auprès de Hongkong et fournit plusieurs adresses et numéros de téléphone aux autorités. Malgré un mandat d’arrêt international, il n’est alors jamais inquiété. Plus grave encore : toutes ses informations ne seront transmises à la BNRF qu’en 2018…
Un procès en son absence ?
Depuis, le parquet de Mulhouse et la magistrate en charge du dossier tentent difficilement de faire bouger les choses. Deux commissions rogatoires internationales émises en mars 2019 puis en janvier 2020 sont restées lettre morte, ou presque. Depuis août 2020 et le refus de la France de ratifier le traité d’extradition avec Hongkong eu égard aux troubles politiques dans l’ancienne colonie britannique, les relations déjà tendues sont carrément devenues glaciales…
« M. Ouali a déjà échappé à la justice une fois malgré son arrestation à Hongkong, souligne Edwige Roux-Morizot, la procureure de Mulhouse. On pense désormais l’avoir localisé à nouveau et on ne peut que déplorer qu’un homme suspecté d’un assassinat puisse vivre tranquillement sans être inquiété par la justice. C’est une réelle frustration. »
Face à cette situation bloquée, les deux magistrates envisagent de renvoyer Karim Ouali devant la cour d’assises en son absence. Il encourt la réclusion à perpétuité. De quoi convaincre enfin Hongkong de la dangerosité de Ouali et faciliter son extradition ?
La famille Meyer l’espère depuis dix ans. « Les autorités hongkongaises doivent revenir à la raison, tonne Me Damien Legrand, l’avocat de la veuve de Jean Meyer. M. Ouali est un des fugitifs les plus recherchés au monde et elles savent pertinemment où il est. Nous ne voulons pas croire qu’elles soient indifférentes à la douleur de la famille de Jean, surtout pour des considérations diplomatiques. Le pas qui nous sépare de la justice, il n’y a qu’elles qui puissent le franchir. »