“Plus de deux ans de combat judiciaire pour Delphine D., surveillante de prison injustement mise en examen, dans une procédure où tout le monde sait bien qu’elle n’a rien à se reprocher. Pour la justice et l’administration pénitentiaire, il s’agit de sauver les apparences en sacrifiant une fonctionnaire intègre et dévouée. Pour le cabinet, il s’agit ni plus ni moins de lui rendre sa vie, et son honneur.” Damien Legrand
Dans l’intimité d’un discret local, Murat G. et Delphine D. s’isolent. Lui est un prisonnier condamné à 16 ans de détention pour un meurtre commis au cours d’un cambriolage, elle est lieutenant en poste depuis cinq ans au sein de la maison d’arrêt de Douai. Déjà troublante, la rencontre de ce 26 octobre 2018 tourne au mauvais polar.
De son pantalon, Murat G. sort un petit sachet qui contient 490 g de poudre. « De l’explosif C4 » trouvé dans le gymnase de la prison, affirme le détenu à la cheffe du bâtiment B. Du RDX en réalité, un explosif militaire parmi les plus puissants. Il y a là de quoi faire céder une dizaine de fois les portes blindées et les murs de briques de la vieille prison de Douai… Un mois après la découverte d’une balle de 9 mm dans la cour de promenade, tout semble montrer qu’une évasion était programmée durant cet automne 2018. Mais qui se cachait derrière ?
Trois ans plus tard, le mystère persiste. Depuis le 1er mars 2019, Delphine D. est mise en examen, suspectée d’avoir fait entrer les explosifs en prison. « Depuis le début, je répète que je n’ai rien à me reprocher, explique la surveillante qui sort du silence pour la première fois. Le détenu m’a remis une substance, je l’ai confiée à ma direction, j’ai juste fait mon boulot. Je n’arrêtais pas de demander des fouilles dans ce bâtiment, pourquoi en réclamer si je rentrais des substances interdites ? » De manière paradoxale, Delphine D. est aujourd’hui suspectée d’association de malfaiteurs… toute seule. En février 2020, la chambre de l’instruction a refusé la levée de sa mise en examen, arguant que des indices sérieux accréditent l’idée d’une « entente entre Delphine D. et Murat G. ». Le voyou est pourtant ressorti sans poursuite de garde à vue…
Les témoignages troublants d’autres surveillants
L’erreur originelle de Delphine D., c’est une relation privilégiée avec Murat G. Au lendemain de la remise des explosifs, elle rédige un rapport laudateur sur le détenu, évoque « un acte de bravoure » qui mérite un transfert. Sa diligence éveille les soupçons. Dans le bâtiment B, les rumeurs prospèrent. Des taulards s’étonnent de la proximité de Delphine D. et de Murat B. L’un d’eux affirme avoir capté une de leurs conversations où il était question d’explosifs. Il aurait même filmé la remise d’un paquet à Murat G. par la lieutenante. La vidéo n’a jamais été retrouvée…
Personne n’a non plus réussi à confirmer les dires d’un détenu qui affirmait qu’une « femme en uniforme a fait rentrer les explosifs ». Surtout, quel crédit accorder à ces hommes en quête d’un transfert et parfois plein de rancœur envers les privilèges offerts par Delphine D. à certains détenus ?
Plus troublant toutefois : au cours de l’enquête, les surveillants se laissent eux aussi aller à des confidences auprès des policiers de la PJ de Lille. L’un décrit les « grandes largesses » de Delphine D. avec les gros profils, un autre parle d’un comportement « trouble avec les détenus », un dernier critique une surveillante « qui travaille non pas dans le social mais dans l’affectif ». Tous s’étonnent du rideau noir qu’elle a installé dans son bureau pour boire le café à l’abri des regards avec Murat G.
«Je veux reprendre ma place car je n’ai rien fait de mal»
« C’était un indic en détention, révèle aujourd’hui Delphine D. Bien sûr j’avais une souplesse avec lui, il me donnait des informations : qui avait un portable, qui préparait un mauvais coup… Mais je me suis toujours méfiée de lui, comme de tous les détenus. En revanche, je ne pensais pas devoir me méfier de mes collègues… » Malgré les déclarations embarrassantes de quelques matons, aucune preuve n’est venue étayer la « relation intime ou tout le moins ambiguë » évoquée par le parquet. Et l’enquête patine.
« L’introduction de l’explosif en maison d’arrêt reste inexpliquée de même que la complicité interne », écrivent les policiers dans leur rapport d’enquête… « La PJ ne sait pas qui voulait s’évader et ne sait pas qui a fait entrer les explosifs en prison, mais je suis mise en examen ! », s’agace Delphine D. L’instruction, à l’arrêt, n’a apporté aucune certitude. À plusieurs reprises, Me Damien Legrand, l’avocat de Delphine D., a proposé l’organisation de confrontations entre la surveillante et ses accusateurs. Ses demandes sont restées lettre morte. Dans les prochains jours, le pénaliste va à nouveau réclamer la levée la mise en examen de Delphine.
« Ces poursuites permettent à la justice de sauver les apparences en accusant une fonctionnaire intègre alors que depuis le début, tout le monde sait qu’elle n’a rien à voir là-dedans, dénonce l’avocat. Il faut que cela s’arrête. » Car pour la lieutenante, la situation demeure invivable. « Je suis suspendue depuis mars 2019, explique la mère de famille. Je ne peux plus travailler au sein du ministère de la Justice alors que je reste présumée innocente… J’ai bossé chez McDonald’s, Amazon, aujourd’hui dans un lycée. Mais je veux reprendre ma place car je n’ai rien fait de mal. Soit on juge parce qu’il y a des preuves, soit on me laisse reprendre ma vie… »
Ecrit par Vincent Gautronneau
Publié le 07/07/21, voir l’article sur le site du Parisien.