Le 10 janvier 2013, la Cour européenne des droits de l’homme avait eu l’occasion de rappeler que « l’absence de motivation d’un arrêt concluant à la culpabilité d’un accusé dans un procès avec jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la convention européenne des droits de l’homme dès lors que l’accusé dispose de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation prononcé à son encontre ». (CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c. France, n° 61198/08)
Elle « prenait note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits » avec l’adoption de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 introduisant dans le code de procédure pénale un nouvel article 365-1 prévoyant une motivation de l’arrêt rendu par la cour d’assises dans un document appelé « feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions, réforme qui, à ses yeux, « semblait a priori susceptible de renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention ».
Depuis lors, la question de la motivation des peines prononcées par les cours d’assises, ces théâtres de tragédies sans héros pour reprendre les mots de Paul LOMBARD, n’a cessé d’être évoquée.
On se souvient en effet qu’en 2013, la Cour de cassation avait refusé de transmettre une première question prioritaire de constitutionnalité fondée sur la motivation de la peine en matière criminelle, justifiant sa décision par la différence de situation entre les personnes poursuivies devant un tribunal correctionnel et celles accusées de crime devant les cours d’assises, l’absence de motivation des peines de réclusion criminelle et d’emprisonnement prononcées à l’encontre de ces derniers s’expliquant « par l’exigence d’un vote à la majorité absolue ou à la majorité de six ou de huit voix au moins lorsque le maximum de la peine privative de liberté est prononcé ».
(Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630)
De même, par trois arrêts rendus le 8 février 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé qu’ « en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 du code de procédure pénale », faisant ainsi de la motivation de la peine prononcée une véritable cause de nullité (Crim. 8 févr. 2017, nos 15-86.914, 16-80.389, 16-80.391).
Dans leur décision du 2 mars 2018 (n° 2017-694 QPC) les Sages développent une toute autre analyse.
Ils estiment en effet qu’il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans la recherche des auteurs d’infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l’exécution des peines.
Ils en déduisent que « le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de cette déclaration, implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Ces exigences constitutionnelles imposant la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ».
En conséquence, « en n’imposant pas à la cour d’assises de motiver le choix de la peine, le législateur a méconnu les exigences tirées des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 » et le Conseil constitutionnel d’estimer que « le deuxième alinéa de l’article 365-1 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution ».
Cette décision vient mettre un terme à ce qui apparaissait comme une véritable incohérence depuis la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, postérieure donc au refus de transmission de 2013 évoqué plus haut.
De par cette loi, le juge correctionnel voit en effet son exigence de motivation considérablement alourdie puisqu’il doit non seulement motiver le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis (article 132-19 alinéa 2 du code pénal) mais également « individualiser » le prononcé de toute peine (article 132-1 de code pénal).
S’agissant de cette dernière exigence d’ailleurs, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé par un revirement remarqué qu’elle devait s’appliquer à toutes les peines, non seulement principales mais également complémentaires (Crim. 1er févr. 2017, nos 15-83.984, 15-85199, 15-84511).
Autrement dit, ce qui était imposé au tribunal correctionnel était interdit à la cour d’assises.
En imposant aux cours d’assises de motiver désormais les peines qu’elles prononcent, le Conseil constitutionnel rétablit un équilibre plus que souhaitable.
Il convient enfin de rappeler que pour permettre au législateur de remédier à l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil constitutionnel reporte au 1er mars 2019 la date d’abrogation du texte.
Damien Legrand