“Le cabinet intervient pour la famille d’Aurélie, qui est d’ores et déjà constituée partie civile dans la procédure d’information judiciaire. Cette confiance nous honore et nous engage. Tout sera mis en œuvre pour rendre justice à cette jeune femme, dont la mort aurait pu être évitée. ” Damien Legrand
Ces dernières semaines, au moins trois femmes sont mortes sous les coups de leurs compagnons alors que la justice et la police étaient prévenues du danger qu’elles encouraient. Le meurtre d’Aurélie L. à Douai, alors même que des agents de police étaient intervenus sur les lieux quelques heures avant le drame et avaient constaté des ecchymoses sur son visage, jette à nouveau le doute sur la capacité des forces de l’ordre à traiter ces affaires.
Après Hayange et Mérignac, Douai. Lundi 31 mai, Aurélie L., 33 ans, a été retrouvée dénudée et couverte d’ecchymoses peu avant 5 heures du matin au domicile de son compagnon à Douai dans le Nord. Son décès a été constaté par les secours, alertés par un passant. Quelques heures avant sa mort, la police s’était rendue à son domicile pour un différend avec une voisine. Selon le procureur de la République, Aurélie était « présente parmi les témoins » et « visiblement alcoolisée », son œil était marqué d’un bleu mais elle a « contesté avec été victime de violences » et « refusé toute assistance ».
Avec 12 condamnations, entre 2004 et 2019 pour « vols, outrages, dégradations, menaces et violences », son compagnon avait été poursuivi fin 2018, notamment pour des violences à son encontre. Il avait été relaxé, sa compagne étant revenue sur ses accusations. Elle avait ensuite déposé deux plaintes pour des « menaces de mort », la dernière le 5 mai. Après les meurtres d’Hayange et de Mérignac, cette troisième affaire jette à nouveau le discrédit sur le travail de la police en matière de violences conjugales. Pour comprendre ce qui s’est passé, Marianne s’est entretenu avec Me Damien Legrand, avocat de la famille d’Aurélie, pour qui la police n’a pas fait correctement son travail.
Marianne : Que s’est-il passé le soir de la mort d’Aurélie ?
Me Damien Legrand: Aux alentours de 18 h 30, une voisine excédée par le bruit et les disputes, qui avait déjà eu affaire au compagnon d’Aurélie, a appelé la police. Quand les agents arrivent, ils règlent le différend avec la voisine. Aurélie est assise sur le canapé, elle a l’air d’avoir bu, elle est un peu somnolente. Elle a le visage tuméfié, marqué de traces de plusieurs coups. Les policiers lui demandent : « Tout va bien madame ? » Elle répond par l’affirmative. Comme toutes les femmes sous emprise victimes de violence, elle n’est pas en mesure d’accuser son bourreau, et encore moins devant lui.
Les policiers n’avaient-ils pas connaissance du caractère violent du compagnon d’Aurélie ?
C’est le plus grave : ils avaient toute possibilité de retrouver le passif du couple et de ce monsieur. Ils savent qu’Aurélie ne vit pas là, ils savent aussi que son bourreau est soumis à un bracelet électronique. Il aurait suffi de les séparer, de mettre Aurélie en sécurité. La moindre des choses, lorsqu’une femme présente des traces de coups dans un environnement d’alcool et de violence, c’est encore de vérifier toutes ces informations.
Qu’est-ce qui explique, selon vous, la réaction des policiers ?
Ce qu’on entend à Douai depuis que l’affaire est sortie, c’est que la police est débordée, que c’est arrivé un dimanche au moment de la rotation des effectifs, ce genre de choses. Ce qui se passe concrètement, c’est que personne n’a de temps à perdre pour ça, c’est un problème beaucoup plus profond. C’est un état d’esprit ancré, notamment dans les services de police, qui consiste à estimer qu’une femme peut légitimement rester sur place alors même qu’on constate qu’elle est battue par son conjoint. On imagine quoi ? Qu’ils vont se réconcilier sur l’oreiller ? Quelques heures plus tard, Aurélie était battue à mort, le crâne défoncé avec une barre de fer. Il y avait du sang partout dans l’appartement. Ça a été tellement violent qu’on n’a même pas pu voir le corps.
C’est simplement une question de culture, alors ?
Non, bien sûr que non. La police est effectivement lourdement sous-dotée. C’est le cas de toute la justice aussi. La chaîne de dysfonctionnement se vérifie à tous les étages, jusqu’au rôle de l’État dans le financement des services publics. On ne peut pas se contenter de grandes déclarations d’intention, de faire de la communication sur ces sujets-là. Il faut mettre les moyens de la mise en œuvre de cette politique de lutte contre les violences conjugales.
Le procureur a estimé qu’il ne voyait pas « de problème » dans la gestion des plaintes déposées par Aurélie, et que « la prise en compte de la parole d’Aurélie a été rendue très complexe par son attitude », notamment parce qu’elle n’avait pas répondu aux sollicitations de la police lors d’une plainte précédente.
Je trouve les propos du procureur complètement déplacés. Ce qu’il dit, c’est « ne vous plaignez pas madame, vous n’avez rien fait pour empêcher ça ». Si on suit cette logique-là, alors on change le système judiciaire et on met en place un dispositif dont l’acteur principal sera la victime. Un système de type : « Si vous n’agissez pas, ne venez pas vous plaindre. » Rendez-vous compte : l’attitude de ce policier qui s’en va après avoir entendu que « tout va bien », c’est simplement invraisemblable. Cette affaire, c’est la négation de tout ce qu’on essaie de mettre en œuvre depuis des années contre les violences conjugales. Il faut imaginer la scène : les policiers arrivent, ils voient Aurélie sur le canapé dans un état second et le visage marqué de bleus. Et ils s’en vont. C’est dire si les mentalités sont encore éloignées de la lutte contre les violences conjugales.
Que demande la famille aujourd’hui ?
La famille réclame une enquête sur les circonstances de l’intervention des policiers et plus particulièrement sur le fait qu’ils soient repartis après avoir constaté des traces de blessure. Mais il faut que l’enquête soit plus large que sur ces seuls faits-là : manifestement il y a un dysfonctionnement plus important, puisque ce que le Législateur met en place n’est pas effectif sur le terrain. Il y a eu Mérignac, Hayange, hier encore un meurtre atroce à Colmar… Il faut utiliser ces événements-là pour mettre en place une réflexion beaucoup plus profonde. D’un point de vue procédural, on ne peut pas les regrouper mais d’un point de vue politique ou médiatique, il faut absolument mener cette réflexion.
Publié le 04/06/21,
Propos recueillis par Jean-Loup Adenor, voir l’article sur le site de Marianne