«Cette injustice est inadmissible» : une veuve écrit à Macron pour réclamer l’extradition du meurtrier de son époux

“Plusieurs années maintenant à se battre aux côtés de cette famille endeuillée pour obtenir justice. Nous sommes persuadés que le Président de la République entendra cet appel.” Damien Legrand

Les mots sont pesés. Empreints d’émotions mais mesurés, à l’image d’une famille digne qui croit encore au travail de la police et de la justice, ils sont couchés sur une lettre envoyée il y a quelques jours à Emmanuel Macron. Dans ce courrier, affleure l’espoir de voir un tueur répondre de ses actes. « Le 27 avril 2011, ma vie, celle de ma famille et de notre fille ont basculé, écrit la veuve de Jean Meyer au président de la République. Nous allions vivre l’impensable, mais nous ne savions pas alors que cela durerait jusqu’à ce jour. »

L’impensable, c’est cette scène d’horreur résumée par les policiers de la PJ dans une synthèse de l’enquête : « Le 27 avril vers 7h50, Jean Meyer, contrôleur aérien de 35 ans, était retrouvé mort, poignardé à sept reprises au sein d’un bâtiment administratif sécurisé donnant accès à la tour de contrôle de l’aéroport de Bâle – Mulhouse. »

Les enquêteurs ne mettent pas longtemps à identifier un suspect : Karim Ouali, un collègue de Jean Meyer en arrêt maladie depuis plusieurs mois. La veille du meurtre, Ouali a posté des lettres de menaces à d’autres collègues. Il a aussi rédigé un long manuscrit halluciné baptisé « Avataroh ». Il y évoque « la vie des contrôleurs aériens, la religion, l’enfer, le diable, la fin du monde ». Mais derrière cet homme aux confins de la folie, fasciné par Oussama ben Laden et le personnage du Joker, se cache un homme qui a « fait preuve de beaucoup de soins dans la préparation des faits d’homicide et de sa fuite », selon les policiers.

De fait, Ouali a toujours eu un temps d’avance. Avant d’assassiner Jean Meyer sans raison – selon plusieurs sources, Ouali aurait pu vouloir accéder à la tour de contrôle pour commettre un attentat visant des avions –, le fugitif a, par exemple, acheté un billet sur un vol qu’il ne prendra jamais. Pour perturber sa traque, il a aussi expédié en Suisse un téléphone acheté à son nom, ou loué une voiture qu’il n’utilisera jamais. Quelques mois après le meurtre, les enquêteurs se rendent à l’évidence : Karim Ouali est introuvable.

Sa photo découverte sur un site de rencontre

Sept ans plus tard, premier rebondissement. La police française est avisée que le suspect a été interpellé et emprisonné un mois à Hongkong en 2014. Il a même été placé sous contrôle judiciaire par les autorités locales jusqu’en 2016. « Malgré l’existence d’un mandat d’arrêt international, les autorités françaises n’ont été informées de ces événements qu’en 2018 », déplore la famille Meyer dans son courrier au président Macron.

En février 2021, nouvelle piste : la photo de Karim Ouali est découverte par les policiers de la Brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF) sur « Loveawakae.com », un site de rencontre prisé des habitants d’Hongkong. Les recherches des policiers français permettent même de loger avec précision le fugitif de 45 ans, visé par une notice rouge d’Interpol.Depuis, les demandes d’entraide adressées à Hongkong par la procureure de Mulhouse, Edwige Roux-Morizot, n’ont pas abouti. Les autorités locales estiment en effet que le site Internet sur lequel Ouali a été repéré n’est pas hébergé sur leur sol et qu’ils n’ont donc pas à mener d’investigations. « Jean est décédé dans des conditions épouvantables, se désole la famille Meyer dans son courrier à Emmanuel Macron. Nous avons vécu toutes ces années sans savoir où se trouvait son assassin et s’il pourrait un jour répondre de ses actes. Aujourd’hui, 10 ans après le drame, justice peut être rendue. »

Pourtant, la situation est aujourd’hui bloquée. « Les échanges sont inexistants » entre Hongkong et la justice mulhousienne, confirme Edwige Roux-Morizot. « L’État français ne réagit pas, dénonce la famille Meyer. (…) Nous vivons désormais avec cette terrible souffrance de savoir que le meurtrier vit en paix dans un pays où, pour des raisons qu’il ne nous appartient pas de juger, il n’est d’aucune manière inquiété. »

Relations diplomatiques tendues

Cette incapacité à ramener Karim Ouali pour le juger en France trouve, selon plusieurs sources, ses explications dans les tensions diplomatiques qui gangrènent les relations entre la France et Hongkong. En août 2020, alors que les manifestations à Hongkong étaient réprimées dans la violence, la France a choisi de suspendre la ratification d’un accord d’extradition avec l’enclave chinoise. Depuis, Hongkong refuse toute collaboration avec la France. Une situation incompréhensible pour les proches de Jean Meyer et leur avocat, Me Damien Legrand.

« La France ne protège pas les criminels ; je ne veux pas et ne peux pas le croire, tonne la famille du contrôleur aérien dans sa lettre envoyée au chef de l’État. Je ne peux me résigner à accepter que le meurtrier de mon époux ne soit pas extradé et condamné en raison de relations diplomatiques tendues. Cette injustice-là est inadmissible. C’est dans cette démarche que je vous demande, M. le Président, de tout mettre en œuvre pour faciliter et accélérer cette extradition afin que Justice puisse être rendue à mon mari, notre enfant et notre famille. » Contactée, l’Élysée confirme avoir reçu le courrier et « y apportera toute l’attention nécessaire ».

Ecrit par Vincent Gautronneau, 

Publié le 18/10/2021, voir l’article sur le site du Parisien.