Lille, un terreau fertile pour les ténors du barreau ?

“Incontestablement la meilleure des écoles !” Damien Legrand

Les plus grands pénalistes français ne se trouvent pas qu’à Paris : la capitale des Flandres a vu émerger au fil des années nombre d’avocats renommés.

Bien sûr, il y a eu l’affaire Outreau, devant la cour d’assises du Pas-de-Calais, il y a une vingtaine d’années. Un énorme fiasco judiciaire qui a agi comme un révélateur de carrière pour toute une génération de pénalistes lillois quarantenaires. Parmi eux, Éric Dupond-Moretti, Frank Berton ou encore Blandine Lejeune.

Encore peu visibles au niveau national, tous étaient déjà fort connus à l’époque dans le Nord-Pas-de-Calais, rappelle Didier Specq, mémoire vive de la chronique judiciaire dans la région. « La notoriété de Dupond-Moretti est allée crescendo à partir des années 80-90, quand il a commencé à soulever à l’audience des nullités – qui à l’époque n’étaient pas purgées. Ses confrères n’osaient pas le faire, ou ne les voyaient pas. Il arrivait à faire sortir des clients noirs comme du charbon. À force, dans les gros dossiers, il savait automatiquement où chercher. C’était un technicien, il avait ce génie-là. Il était très rentre-dedans, ne respectait pas les usages du barreau, ça s’engueulait sec par moments ! Les autres avocats ont suivi, ils se sont inspirés les uns les autres, ça a créé une vraie émulation. »

Coups d’éclat. Nord Éclair et La Voix du Nord couvrent alors avec délices les affaires de ces avocats charismatiques, talentueux et gonflés, dont la présence est souvent gage d’audiences spectaculaires. « Au rang de ces grands-là, il ne faut pas oublier Jean-Yves Moyart − décédé le 21 février 2021 (Gaz. Pal. 23 févr. 2021, n° 398e8, p. 11), NDLR −, souligne encore Didier Specq. Lui, on pouvait l’écouter sur n’importe quel sujet, qu’on ait la culture ou pas, les mêmes références ou pas. Il savait captiver, et connaissait à fond ses dossiers. » Le public apprécie et en redemande. Il connaît leurs noms, suit leurs progrès. À Lille, de toute façon, difficile de les manquer : ces avocats cultivent leur relationnel, sont de toutes les associations, écrivent des billets de blog ou des livres – ils sont partout. Chacun avec sa voix, sa personnalité, ses coups d’éclat.

Il faut dire que de ce côté-là, les occasions ne manquent pas : le tribunal de Lille est l’un des premiers au pénal, avec un barreau conséquent et dynamique, dans une région très densément peuplée. Du fait de sa proximité avec la Hollande, on y voit notamment passer de grosses affaires de banditisme, de stups et de passage aux frontières. Beaucoup de faits divers ; de quoi se faire la main.

Médias. Au début des années 90, devant la cour d’assises pour mineurs de Douai, Blandine Lejeune obtient l’acquittement d’Ida Beaussart, adolescente de 17 ans qui a tué son père, néonazi, d’une balle dans la tête. Quelques années plus tard, elle sera l’avocate des parties civiles au procès des frères Jourdain… « Ce n’est pas pour rien qu’on est venus nous chercher pour Outreau », glisse avec malice celle qui fut la première collaboratrice d’Éric Dupond-Moretti.

« Ces pénalistes n’ont pas explosé professionnellement à Outreau, mais médiatiquement, confirme Éric Dussart, grand reporter à La Voix du Nord. Leur première grande victoire, c’est d’avoir obtenu que le procès ne se déroule pas à huis clos. Sans cela, il n’y aurait pas eu ces acquittements. Franchement, il fallait le faire. Cela leur a donné de la visibilité dans la France entière. »

Relève assurée. Sur les conditions d’émergence de ces grands noms à Lille, le journaliste dit s’être longuement interrogé. « Chaque fois que le magazine GQ sortait son classement annuel des trente avocats les plus puissants de France, on retrouvait immanquablement Dupond-Moretti et Berton en tête de classement. Ces deux-là ont tiré le barreau vers le haut, obligé les flics à ficeler leurs procédures : ils ont semé partout où ils passaient. S’il y a une école lilloise, ce sont eux qui l’ont inventée ! »

La relève lilloise est en partie assurée, désormais, par de jeunes générations de pénalistes formés tantôt aux écuries Dupond ou Berton (Alice Cohen-Sabban, Julien Delarue, Chérifa Benmouffok, Damien Legrand,…). « Dupond et Berton ont été des moteurs extraordinaires, observe Éric Dussart. J’ai vu plein de jeunes avocats se déplacer à Saint-Omer ou Douai uniquement pour les voir plaider, c’était toujours l’événement. Sans compter que l’exigence qu’ils ont mise dans leur propre réussite, ils ont été capables par la suite de la transmettre à tous ceux qui savaient l’assumer. »

Ecrit par Clémence de Blasi,

Publié le 23/03/21, voir l’article sur le site de la Gazette du Palais