Suspecté d’avoir kidnappé son fils alors qu’il avait prévenu la police… l’incroyable couac d’une Alerte enlèvement

“Cette affaire est la démonstration par excellence de ce que l’institution judiciaire sait produire de pire. Non seulement elle s’emballe parce qu’elle dysfonctionne mais en plus, elle se montre incapable de le reconnaître. Plutôt que de présenter des excuses pour le préjudice subi du fait de l’exposition médiatique, elle préfère inventer une infraction et une poursuite qui ne reposent sur rien, uniquement pour sauver les apparences. C’est l’erreur judiciaire, construite en toute conscience. ” Damien Legrand

« Un enfant a été enlevé, tonne une voix inquiétante. Ceci est une Alerte enlèvement. » Sur le célèbre fond rouge du dispositif lancé en 2006, le visage d’un bambin de 12 ans. Ce samedi 18 décembre, le signalement de l’enfant est projeté toutes les quinze minutes sur toutes les télévisions de France. Selon l’alerte, le « garçon, 12 ans, 1,50 m, teint mat, brun aux yeux noir habillé d’un pyjama gris », a été enlevé dans une famille d’accueil de Fouquières-lès-Lens (Pas-de-Calais), le vendredi à 19h30. Le suspect, son père, est « susceptible de chercher à sortir du territoire national ». « 40 ans, 1,73 m, 110 kg au crâne rasé », Halim B. est décrit comme « déterminé dans son projet et potentiellement dangereux ». Le lendemain matin, l’enfant est retrouvé en bonne santé et son père interpellé.

Un mois après le dénouement heureux de cette affaire, les investigations dont Le Parisien a pu prendre connaissance révèlent une réalité plus complexe. Premièrement, l’enlèvement n’en était pas un. Surtout, le déclenchement de l’Alerte enlèvement a résulté d’une série de dysfonctionnements soulevés par l’enquête de la police judiciaire (PJ) de Lille (Nord). « L’ensemble des éléments découverts permet d’établir qu’après avoir récupéré son fils auprès de la famille d’accueil (…), Halim B. avait tout entrepris pour signaler les faits aux services sociaux et aux services de police, note un capitaine de la PJ dans une synthèse. Malheureusement, une mauvaise communication entre les différents acteurs de la soirée conduisait à la mise en place du dispositif Alerte enlèvement. »

Un constat sévère qui explique peut-être le choix du parquet de Béthune de faire comparaître le père de famille ce lundi devant un juge unique, une juridiction plus habituée à juger les conducteurs ivres que les kidnappeurs.

Sa famille d’accueil lui faisait « peur »

Cette incroyable séquence débute le vendredi 17 décembre. À 18 heures, le fils d’Halim B. est placé chez une assistante maternelle à la suite d’une décision de justice sur fond de combat pour la garde. Mais le jeune garçon vit mal cette arrivée dans une famille inconnue. Durant la soirée, il est « attristé » et « semble ressentir un mal-être », selon le récit de l’assistance maternelle. Sur WhatsApp, il échange avec son père et lui tient des propos alarmants.

« Je me sens mal là, j’ai besoin que tu viennes » ; « Dépêche-toi, je vais fuguer, j’ai peur », écrit le jeune garçon à Halim B. ce vendredi à 19h30. Le père se présente à 20 heures chez la famille d’accueil. Quand il sonne à la porte, son fils se précipite dans sa voiture et lui demande de partir en vitesse, lui promettant de fuguer s’il ne l’emmène pas. La famille d’accueil prévient le commissariat de Lens, mais le garçon et son père restent introuvables toute la nuit.

À 6 heures du matin le 18 décembre, le procureur lance l’Alerte enlèvement et confie la traque à la PJ. Très vite, les enquêteurs découvrent des incohérences. D’abord, les policiers de Lens qui se sont lancés dans l’exploitation des fadettes et la géolocalisation du téléphone de Halim B… l’ont fait sur un mauvais numéro. À 9h30, alors que le visage du petit garçon et celui de son père sont déjà sur toutes les télés, la PJ obtient le vrai numéro d’Halim B. Et découvre vite un détail surprenant : à 20h47 puis 20h49 le soir du rapt du petit garçon, son père a téléphoné… au commissariat de Lens. Pas vraiment le réflexe d’un kidnappeur.

Autre surprise issue des exploitations téléphoniques : dix minutes après son enlèvement, le garçon lui-même a appelé son éducatrice pour la prévenir de son départ de la famille d’accueil. Selon la déposition du petit garçon, elle lui a répondu : « Laisse-moi profiter de mon week-end, on est vendredi soir, je verrai ça lundi. »

Le père avait tout fait pour alerter la police et les services sociaux

Plus fou encore : alors que l’Alerte enlèvement est diffusée depuis 3 heures, les policiers de Lens se souviennent – enfin – d’un évènement survenu le soir du rapt. À 22h11, un homme s’est présenté au commissariat pour faire une main courante. Il tenait « en toute transparence » à signaler qu’il « avait récupéré son fils qui se sentait mal et faisait du chantage au suicide dans sa nouvelle famille d’accueil ». Il a expliqué à la policière emmener son fils chez sa nièce, à Sallaumines.

Cet homme, c’était Halim B. Malheureusement, note la PJ, amère, « aucun lien n’a été fait » entre l’enquête pour enlèvement et cette main courante, « malgré le fait que ce soit le même service de police qui était saisi des deux faits ». Ces éléments auraient sans doute pu, s’ils avaient été communiqués à temps au procureur, empêcher le déclenchement l’Alerte enlèvement, éviter la mobilisation de dizaines de policiers et épargner à Halim B. une mauvaise surprise.

Car peu après 9 heures, le père de famille est réveillé par sa nièce, « qui m’a dit qu’on passait à la télé ». Pris de panique, il appelle lui-même le 197 – la ligne d’urgence du dispositif Alerte enlèvement – et explique ne pas comprendre la médiatisation de l’affaire alors qu’il s’est présenté au commissariat la veille au soir. Quelques instants plus tard, il confirme à la PJ se tenir à « l’entière disposition » de la police. L’enfant est récupéré, Halim B. est interpellé par la BRI. « J’ai agi comme un père dont le fils est en danger. Mon intention n’a jamais été de l’enlever et encore moins de le séquestrer », affirme alors Halim B. aux enquêteurs. Il assure aussi avoir voulu faire les choses dans les règles en avertissant la police et les services sociaux, comme cela a été confirmé par l’enquête.

Un mois plus tard, la qualification d’enlèvement a été évacuée par la justice, mais le quadragénaire est toutefois jugé ce lundi pour « soustraction d’enfant ». « Cette affaire est la démonstration de ce que l’institution judiciaire sait produire de pire, estime Me Damien Legrand, l’avocat d’Halim B. Non seulement elle s’emballe parce qu’elle dysfonctionne, mais en plus, elle se montre incapable de le reconnaître. Plutôt que de présenter des excuses pour le préjudice subi du fait de l’exposition médiatique, elle préfère inventer une infraction et une poursuite qui ne reposent sur rien, uniquement pour sauver les apparences. »

Contactés, le parquet de Béthune et le ministère de la Justice n’ont pas souhaité faire de commentaire.

Publié le 08/01/2022

Ecrit par Vincent Gautronneau, voir l’article complet sur le site du Parisien.